Alain Dutournier nous raconte les Rolling Stones

Alain Dutournier grand chef étoilé au Guide Michelin nous raconte sa vision du concert des Rolling Stones. Nous avons eu la chance de l’accueillir dimanche dernier pour l’un des concerts des acolytes de Mick Jagger. Suite à ce sublime concert il nous offre sa vision d’une prestation hors norme. 

Alain Dutournier:

Très jeune, comme beaucoup d’ados de ma génération, j’ ai été  sensible aux sons des guitares électriques et du rock’n roll. Dans le sud les anciens nous qualifiaient de « yéyeues ».  Bien sûr nous étions fans du « mythe »,  de nos super rockers et des multiples groupes de notre hexagone. Mais,  notre biberon était rempli par les « Animals « , les « Doors », les « Them », les « Who » et les « Stones » … Rescapé de la « chair à fusil » , après 18 mois passés avec les « Marsouins » chez qui les cheveux étaient proscrits (plus pratique pour identifier les cadavres), fringué à Carnaby Street, je retrouvais le « look rebelle » des sixties.

Depuis  leur superbe prestation en Juin 1990 au Parc des Princes, j’espérais revoir les Stones aux manettes à Paris. En Octobre 2012 notre fidèle client Edouard Carmignac, a organisé un concert privé pour ses 1600 invités et certains d’entre eux m’ont raconté leur ressenti qui m’a fait rêver. Cette année les Stones terminent leur grande tournée « sans filtre » par Paris et de ce fait inaugurent un lieu magique : la U ARENA (U en référence aux tribunes en fer à cheval). Comme dans tous les rêves il y a un magicien, j’ai la chance de le connaître, il aime le rugby et il a un grand cœur.

Billets en poche, cette dernière semaine durant les jours et les nuits j’ai été intérieurement très excité et déjà habité par les « wou ouwou wou wou ouwou … » sans parler de nombreuses évocations avec de jeunes collaborateurs passionnés et des amis de province. Ce dimanche 22 Octobre, le jour du concert R.S.  j’ai essayé de prendre du recul en parcourant de long en large la FIAC mais rien n’y a fait. A 18h30 nous prenions le métro – direction la Défense Grande Arche. Depuis le parvis et après une dizaine de minutes de marche, apparition dans la grisaille d’Octobre, de ce nouveau sanctuaire représentant la plus grande salle de spectacle d’Europe. Le bâtiment recouvert à l’extérieur d’écailles blanches lumineuses, paraît vaporeux voire très aérien et est déjà beaucoup mieux intégré dans le site que d’anciens immeubles voisins. Saluons le talent du génial architecte Christian de Portzamparc. Quand on pénètre dans cet immense et émouvant  volume en vase-clos et sans spectateur, on ressent très vite une certaine intimité propice à une ambiance chaleureuse. Pas la moindre impression « d’essuyer les plâtres », ici tout est déjà très bien huilé. Les milliers de spectateurs installés, les américains de Bowling Green « chauffent le chaudron » et les quatre légendes vivantes peuvent entrer…

Toujours dans l’esprit d’une certaine improvisation, les deux compères guitaristes  s’observent, se hasardent à émettre un son, un deuxième plus violent et coup d’œil furtif à Charlie Watts qui déclenche et çà explose. Les sons puissants s’harmonisent mieux et l’éternel jeune homme en marche pulvérise l’image de « Johnnie Walker », prend le micro, çà y est, il avance, il court, il vole et il vrille. (environ 10 000 km de scènes parcourus dans sa carrière). La voix est placée, les 3 complices sont à l’ouvrage, sans oublier l’accompagnement de très grands professionnels, pianiste, guitare basse, sax et l’immense choriste qui complètent ce festival de talent. Mike Jagger aussi classieux dans sa démarche de prononciation du français que dans sa façon de marcher, nous explique qu’ils terminent cette grande tournée « no filter » par la « Frransse » ! et que précédemment ils se sont échappés de Hollande tout en rappelant « -les français aussi ! »(so british !). Keith Richards tend amicalement l’harmonica à Mike et un blues génial débute, suivi des miaulements langoureux côté guitare. Puis ce dernier vient chanter « Angie » divinement certes mais aussi valorisé par l’extraordinaire accompagnement sur guitare sèche de Keith Richards. La face aussi burinée que l’était celle de Manitas, ses doigts pincent, relâchent, glissent et rythment des sons très purs. De son côté Ron Wood (Ronnie du Bois de  Boulogne, comme le qualifie M.J.) est omniprésent. En superbe condition physique, il a l’œil sur tout en permanence et se déplace également tout en jouant avec une grande précision. Tel un Guy Novès avec une tignasse de torero andalou, il maîtrise complètement l’affaire et son petit monde. Quand retenti l’intro de « Paint in black », morceau fétiche de Keith, Charlie Watts aux baguettes, concentré dans son art, cesse de serrer ses lèvres et se mordille la langue. A la fin  de ce merveilleux titre il ouvre enfin la bouche et dévoile son chaleureux sourire. Curieusement, dès qu’il se lève et se déplace loin de sa caisse claire, il porte les traits  majestueux d’un chef de grand orchestre classique. De son côté Mike Jagger, véritable homme orchestre, passant de l’harmonica à la guitare et du chant à la danse, est toujours aussi époustouflant. Même  s’il est toujours un grand sportif, il est gorgé d’énergie et je le soupçonne de se nourrir du regard affectif et admiratif de ses trois complices pour puiser dans cette force commune du groupe.

Parmi les diverses guitares qu’ils ont fait souffrir, voire torturer, pour aller chercher des sonorités si exclusives, nous avons assisté à un défilé exceptionnel dont certaines semblaient sortir de cet ouvrage fétiche sur les guitares légendaires : « Foxyladyproject » (ouvrage rouge – 1 ,09 x 0,48 – photos grandeur nature de Maxime Ruiz et textes de Christian Séguret). Quel moment insolite quand Keith rigolard, donne de sa puissante voix au micro, puis bouge accroupi comme un prédateur en chasse, la guitare au ras du sol avec les doigts en pleine extraction de sons fascinants. Un regard et Ronnie se baisse à son tour pour cueillir de l’exceptionnel avec ses doigts d’or. Oui les Stones, vous nous avez comblés de bonheur. Malgré votre grande et longue tournée bien sûr organisée, vous avez su garder cette spontanéité, cette possibilité d’être perfectibles et avant tout le côté rebelle de vos débuts.

En conclusion : un final magistral avec « Satisfaction ». Surtout ne changez rien puisque vous n’avez jamais changé.

Nous avons quitté la U ARENA en plein bonheur avec une seule envie qui pour moi est le meilleur des compliments : REVENIR. Un grand bravo à la famille Lorenzetti pour avoir su bâtir ce morceau de paradis. Souhaitons aussi au Président du Racing 92 l’autre casquette de Jacky Lorenzetti) que les dieux de ce nouveau stade trouvent leurs bons repères ainsi que les bonnes inspirations et les initiatives ambitieuses le 22 Décembre pour le 1er grand match du TOP 14 dans cet écrin.